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BILLET #2 - 19.10.16

19 octobre – Jour 3 du processus de création de Deborah Dunn. Maison de la Culture du Plateau.

As time goes by…

Maxime D. Pomerleau est là aujourd’hui, de retour d’un voyage personnel en Europe. « À Berlin, j’ai visité le Musée de l’Histoire Juive » dit-elle. Le lien est direct avec le mythique film dont Deborah Dunn s’inspire pour cette pièce : Casablanca de Michael Curtiz avec Ingrid Bergman et Humphrey Bogart et la bande son de Max Steiner qui file des frissons. Deborah utilise les dialogues aussi bien que les musiques, et c’est puissant, extrêmement évocateur. Elle ne chorégraphie pas un remake de Casablanca, bien entendu. Grâce aux interprètes, elle fait bien plus : une évocation, une réinvention. Elle voit et eux révèlent. As time goes by…

Maxime est émue. Il y a de quoi. Le duo France Geoffroy – Thomas Casey est aussi sensuel, magnétique, puissant et émouvant que celui du film, avec un truc en plus. France et Tom forment un couple improbable, inédit, unique qui s’aime et veut se coller, mais se quitte. « Dis-moi jusqu’où je m’approche » reste la plus cruciale des questions humaines, celle qui pose l’irrésoluble question de la fluctuation et de la pérennité du lien. Dis-moi jusqu’où je m’approche, voilà résumée la plus « infinissable » des interrogations amoureuses. Cette question s’impose violement à moi en regardant évoluer France et Tom – quel fulgurante progression depuis lundi –, elle abandonnée à lui, perché derrière elle sur son fauteuil roulant. Un baiser ? Plus que ça. Une complicité des corps et des regards. Frissons.

Ils sont trois maintenant, France, Maxime et Tom, tous les trois en fauteuil roulant. Maxime et France ont un handicap, mais lui, pourquoi ? Deborah l’a placé là pour qu’il explore ses possibilités, ses limites de non-handicapé. Il est plutôt habile avec le fauteuil roulant, qui l’eut cru ? Essayez donc de débouler à toute allure, tourner, virevolter, braquer, reculer, repartir à toute vitesse, puis s’arrêter pile poil là où Deborah l’a dit, au centimètre près. Ils y arrivent très bien tous les trois, en un unisson parfait. Surgissent comme des boulets de canons sur le générique célébrissime aux accents arabisants de Casablanca. Des Juifs en fuite qui prennent le train pour rejoindre le Maroc français et de là se sauver en avion ou en bateau vers les États-Unis. Un train vers la liberté. L’un derrière l’autre, Maxime, France et Tom. Scène évocatrice dont l’image s’imprime profondément dans ma rétine, sur une musique poignante.

Exploration du meilleur et du pire de l’humain, Deborah Dunn consacre toujours ses œuvres à cette spéléologie sous les mers du conscient et de l’inconscient, et ici, d'un coup, la magie opère à nouveau.  Je n'en reviens pas.  Les interprètes non plus on dirait. And time goes by.

La danse vient du ventre et atteint au ventre, disait Jean-Pierre Perreault. Le ventre, c’est un chaudron de sorcière. Magique.