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BILLET #1 16.10.16

16 octobre, 11h, Maison de la Culture du Plateau Mont-Royal

Dans les yeux des amants

 

Entrée en studio pour la pièce de Deborah Dunn.  Elle commence ce matin avec France Geoffroy et Thomas Casey.

« Conscience de l’espace, dit Deborah. Conscience de la relation qui existe entre eux, présence forte mais différente de l’un et de l’autre. » France et Thomas se regardent un instant, très court, puis entrent dans l’improvisation proposée comme s’ils glissaient dans une dimension pressentie.

Un couple d’amants se cherche, s’esquisse, se sent sans se voir, se dissimule, se dérobe, s’observe, se veut ne se veut plus, se rejoint enfin. Yeux dans les yeux. Des harpons d’émotions contradictoires.

Les yeux de France n’ont rien à envier à ceux d’Ingrid Bergman, son port altier, son allure, sa présence magnétique non plus. Près d’elle – trop près, pas assez –, la beauté fine, la fougue, le don de soi de Thomas égale au moins ceux d’Humphrey Bogart. Deborah observe le moindre frémissement de leurs doigts, les fils tendus de leurs regards, leurs mentons, la plus infime ou la plus fulgurante courbe de leurs corps, autant qu’elle scrute l’intention qui de l’intérieur les anime, et parfois, elle la réoriente. Ses bras à elle, sa voix, ses très longues jambes, son buste s’animent aussi, puis elle se rassoit, écoute, attentive à créer une atmosphère, un état intérieur entre interprètes et spectateurs. Mais il n’y a que moi qui regarde ce matin, puis Marie-Hélène qui arrive bientôt avec sa caméra et se met à filmer. Touche par touche, geste par geste, Deborah orchestre une RENCONTRE.

France manie son fauteuil roulant comme un tapis volant. Tom déploie toute la palette de ses moyens charnels. C’est ainsi. Personne n’en parle, surtout pas Deborah. Le mot handicap n’a pas lieu d’être prononcé ici, pas plus que n’est évoquée la pensée qu’il recouvre. La tétraplégie de France constitue un élément consubstantiel de la pièce, au même titre que les sauts contrôlés de Tom. Seul importe l’intense rencontre entre eux. La relation qui se tisse sous mes yeux et l’écran photo de mon téléphone, je ne peux m’empêcher de fixer quelques gestes captés, captifs, tandis que se poursuit le mouvement perpétuel sur la scène. L’aisance fauve de Tom, la présence magnétique de France. Leur pas de deux aussi déroutant qu’émouvant.

Michael Curtiz ne reconnaîtrait pas ses acteurs, mais l’esprit de son mythique film, si. Deux amants se cherchent, se trouvent, se touchent, se reconnaissent. Et ils vont se quitter.

Mais au fait quel est ce film dont Deborah Dunn a choisi de s'inspirer ? ... ( à suivre) [Billet #2]