Home /

 

À bâtons rompus...

(par Katya Montaignac)

 

Dans le cadre du projet Quadriptyque, j’accompagne France et Benoît en tant qu’œil extérieur. Je les écoute converser. Leur discussion est un fil continu. Un moment d’intimité. Un espace de jeu. Pendant leur duo, leur dialogue s’ancre dans le réel. Voici un extrait à peine recomposé à partir de leurs échanges…

 

Dialogue autour de l’inclusion

Parce que la relation est au cœur de son travail chorégraphique, Benoît invite le public à partager une expérience de proximité. Il aime créer un dispositif inclusif afin de modifier la politique de la performance.

France exprime ses réticences à l’idée d’une scène ouverte à 360 degrés car les personnes à mobilité réduite sont plus facilement gênées dans ce genre de dispositif dit « ouvert ». En effet, quand on offre différentes possibilités, la liberté des personnes handicapées s’en trouve nécessairement limitée. Alors que dans une disposition classique, une fois placé, tout le monde partage finalement le même point de vue.

Benoît questionne nos codes et habitudes de représentation liés à la frontalité qui impose une certaine hiérarchie du regard. Restreint-on le public en lui imposant exclusivement le mode frontal ? Pourquoi ne pas offrir différents angles, différents points de vue ? Et surtout comment s’assurer que tout le monde se sente à l’aise dans ce contexte ? Une stratégie dramaturgique consiste à partager leur dialogue au public.

 

Entretiens, entre liens…

« En art, il y a des tabous mais c’est un lieu où tout est possible. C’est un lieu assez élastique…

-Pourtant c’est aussi un lieu avec des codes rigides ! Il faut réviser nos façons de créer car les codes qui ont été établis ne sont pas accessibles.

-L’accessibilité : c’est la nouvelle saveur du jour, une valeur ajoutée! Désormais, il y a vraiment un engouement. On devient enfin des sujets. Chacun revendique son droit d’exister dans le respect de sa particularité.

-Je n’aime pas les mouvements formatés. J’aime aller chercher d’autres mouvements.

-Je crois qu’on devrait pouvoir s’inspirer de n’importe quel type de corps et travailler dans n’importe quel type d’expression et de langage.

-Je peux être intéressé par l’impulsion d’un mouvement, comme un spasme sans nécessairement faire référence à un handicap.

-Ça ne devrait pas appartenir à un handicap! C’est un état physique que n’importe quel humain peut vivre, quand on est fatigué par exemple.

-Comment passer de la discussion à l’indication? On pourrait demander aux spectateurs de changer de place s’ils ne se sentent pas bien placés.

-Oh, regarde : les oiseaux!

-…

-Tu sais comment j’ai appris à regarder les oiseaux ? En focusant sur les déplacements.

-C’est dans le déplacement que les gens vont nous voir.

-…Tu vois, là, on est dans un clair-obscur. C’est la meilleure façon de les voir. Ou alors il faut venir très tôt… Être petit ne signifie pas qu’on est fragile.

-Approche-toi de la fenêtre. Tu le vois-tu sur le petit buisson ?

-Imagine le son qu’il fait !

[Explorations gutturales]

-(…)

-C’est ça, la réalité multiple! Les gens regardent notre image et nous, on regarde la réalité.

-On regarde à l’extérieur de la salle pendant que les gens nous regardent à l’intérieur et en même temps il se passe quelque chose à l’intérieur du corps.

-(…)

-J’aime déplacer la pensée…

-Je pense que tu as une pensée éparpillée.

-[…]

-Peut-être que c’est là notre espace.

-Oui, mais dans les interstices.

-(…)

-Derrière une réalité, tu as une autre réalité.

-Regarde le chat !

-Il a peut-être des chiens qui nous regardent?

-…Qu’est-ce qu’il regarde?

-Est-ce que les chats sont là pour regarder les oiseaux?

-Regarde l’antenne sur le toit ! C’est la pensée du spectateur. Regarde le fil ! Le fil conducteur…

-…Je viens seulement de comprendre!

-Je pense qu’il y a plus de fun à ne pas comprendre…

-C’est mystérieux.

-En tant qu’artiste, on entretient le mystère…

-…

-Peut-être que les oiseaux sont dans une autre réalité.

-C’est peut-être de l’anthropomorphisme.

-On ne prend pas assez le temps de regarder. C’est quoi l’image ? On peut regarder de plusieurs points de vue.

-J’aime beaucoup le mouvement des nuages.

-Comme dans un rêve…

-On s’éloigne et en même temps on se rapproche…

-Est-ce qu’on voit les yeux fermés ?

-On ne voit pas que l’image visuelle, mais aussi l’image mentale.

-Comment vois-tu les spectateurs ?

-Je ne les vois pas, je les imagine.